Rencontre avec Chantal Mirail, autrice.


En 2004 à Lyon, j’achetais le livre « Des figues contre un Mur de barbarie » et Chantal me rédigeais une belle dédicace. Comme j’ai tendance à ne rien oublier, ce livre m’a fait appel pour illustrer un aspect de la résistance du peuple palestinien.

Mirail Chantal Des Figues Contre Un Mur De Barbarie Roman Temoignage En Palestine Livre 387645430 L NOPAD2004 11 12 DEDICACE MIRAIL


Q : Peux-tu nous rappeler le contexte de l’écriture de ton livre ?
En 2003, je participe à la Campagne Civile pour la Protection du Peuple Palestinien. En tant que simples citoyens, nous répondons à l'appel des Palestiniens abandonnés des instances représentatives internationales des Droits de l'Homme. Nous nous proposons de faire force d'interposition et de témoigner : recevoir le témoignage des Palestiniens et porter témoignage. "Les internationaux" vont devenir une force symbolique pour les Palestiniens.

A cette période les Palestiniens ripostent par la seconde Intifada au piège des Accords d'Oslo qui ont permis à Israël d'accélérer sa colonisation en Cisjordanie. Dès 2002, Israël démarre la construction d'un mur de séparation qui sépare juifs et non-juifs en isolant les Palestiniens du territoire israélien mais aussi des colonies construites sur leurs terres, les sépare aussi de leurs terres ou du village voisin. C'est un mur d'apartheid construit sur les Terres palestiniennes, avec destruction d'innombrables oliviers centenaires.
Je choisis alors de témoigner sous forme de fiction. Depuis toujours, le traitement médiatique de la situation en Palestine déshumanise les Palestiniens … et humanise à l'extrême les Israéliens. Parce qu'elle m'accueillait, la Palestine pour moi s'incarnait. Je voulais l'incarner aussi à travers mon récit de deux jeunes amoureux, de leurs familles, et leur confrontation quotidienne à l'arbitraire, l'humiliation, la mort. Confrontation aussi à leur désespoir, leur colère et leur féroce joie de vivre.
Cet écrit m'a mené aussi à une réflexion sur l'inhumanité de l'humain.
J'ai choisi d'utiliser dans mon titre le terme de barbarie et d'évoquer la résistance : les pierres deviennent des figues de barbarie dont le nom arabe صبار évoque la persistance, la résistance.

Q : Quel est ton approche de la situation ouverte depuis le 7 octobre ?

Depuis le 7 octobre nous prenons en pleine figure, et jusque dans nos tripes, la barbarie.
Un génocide. Sous nos yeux. Revendiqué, programmé planifié. Justifié. Une population entière affamée. Hommes/femmes/enfants/vieillards. Assoiffée. Bombardée sans relâche. Leur déportation programmée.
Plus jamais ça.
Tout ce que nous avons appris à haïr dans un consensus total depuis 1945, le génocide, est convoqué dans une banalité stupéfiante, dans une perversion du langage où l'attaquant serait l'attaqué et dans une répression de toute parole critique d'Israël.
On me demande parfois d'abandonner mon cafard : ce serait perdre mon humanité, ce serait couler. M'habituer ? Ce serait me perdre. Ce qui me sauve, c'est notre colère collective, ce sont les manifs dans le monde entier et tous les témoignages de soutien. Ce sont toutes les victoires de la résistance palestinienne. Nous sommes toutes et tous : Palestiniennes et palestiniens, Israéliennes et israéliens, Françaises et français, êtres humains, dans un naufrage de notre humanité.
Depuis le 7 octobre ? ou depuis 1948 ? Aujourd'hui nous sommes au paroxysme de tout ce que le peuple Palestinien subit depuis 76 ans. Mon roman étai un condensé de tout ce qui arrive aujourd'hui, on y trouve les massacres et même le spectre d'une déportation. Mais la situation actuelle est le paradigme absolu de l'aberration première, initiale : "donner" à un groupe humain un territoire. L'entité sioniste, un état où juifs et non-juifs n'ont pas les mêmes droits, où le droit du sol est dénié porte en elle-même toutes les exactions qu'elle commet aujourd'hui. Ce sont 76 ans de déni de cette évidence que tout territoire sur cette terre ne peut être géré que par l'ensemble de ses habitants à égalités de droits. La solution est connue depuis le 1er jour : un Etat laïque, démocratique. La cause est connue depuis le 1er jour : l'impérialisme.

Q : Penses-tu que l’art puisse contribuer à ce combat ?

Du pain et des roses, réclamaient les ouvrières en grève en 1912. L'Art est bien-évidemment essentiel. C'est le nid de notre humanité.
Si dans mon roman, je donne une place importante à la poésie c'est parce que la poésie seule peut dire l'indicible. L'indicible de la barbarie. Et l'indicible de la complexité humaine, l'amour comme la haine. Il est des situations et des sentiments qu'il faudrait des pages et des pages pour décrire. Mais la poésie, par un mot, une image, l'exprime en une fulgurance.
"Nous sommes une vingtaine d'impossibles dans Lydda, Ramleh et Galilée Mais ici nous resterons" nous dit Tawfik Zayyad. Tout est dit.

L'Art est un ambassadeur puissant qui permet de porter message.
L'art peut dire à la fois l'horreur et le refus farouche de l'horreur. La photo d'un champ de ruines à Gaza nous consterne et nous paralyse, mais une fleur dessinée dans les gravats ouvre une fissure dans le désespoir. La petite fille aux ballons de Banksy franchit le mur de l'apartheid. Même la peinture d'un massacre dans sa cruauté nue est porteur d'espoir : car derrière le pinceau, un homme/une femme hurle son refus et nous remet debout.

Enfin la culture est porteuse d'une identité collective indispensable et la survie de la Palestine passe aussi par son patrimoine culturel et artistique.
L'éradication d'un peuple passe par l'éradication de sa culture. Israël ne s'y trompe pas en détruisant en décembre 2023 Le Théâtre de la Liberté de Jenine. Dans sa politique de colonisation et d'extension territoriale, c'est l'existence même d'un peuple palestinien qu'ils veulent détruire pour rendre vrai le mensonge initial "d'une terre sans peuple pour un peuple sans terre".
C'est dans cet esprit de résistance par l'art que chaque année un festival du film palestinien est organisé en Rhône-Alpes.

Car tant que nos cœurs chanteront Mahmoud Darwich, "Un jour je serai ce que je veux", la Palestine vivra.

Des figues contre un Mur de barbarie - Roman Témoignage en Palestine
Editions Ancre et encre. 2003. Disponible chez DECITRE
Résumé : Les Missions Civiles pour la Protection du peuple Palestinien ont pour objectif, entre autres de témoigner. En février 2003, Chantal Mirail fait partie de la 49e mission civile et pour ne pas oublier, écrit ce témoignage sous forme de fiction, décrivant ce que représente la construction par Israël du mur en Palestine. L'auteur nous conte l'histoire de Dounya, jeune fille étudiante, comme il en existe de par le monde. Rêveuse, écrivant des poèmes, amoureuse, heureuse de vivre. Son histoire pourrait se révéler ordinaire, mais Dounya est Palestinienne et le mur qui se construit détruit la normalité. L'auteur mélange le roman et le témoignage, nous approchant au plus près de la détresse de ceux qui vivent ce mur comme une plaie ouverte.

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