UN HOMME EST MORT !

Lundi 21 avril, dit lundi de Pâques, jour férié, à 7 h 35, à l’âge de 88 ans et des poussières, un homme est mort. Argentin d’origine, exilé en Europe, il a œuvré toute sa vie au service de ceux qui, dépourvus des moyens de s’enrichir, n’avaient que leur force de travail à vendre afin de ne pas mourir de faim.
Il a consacré son savoir et son énergie à lutter pour l’avènement d’un système social enfin juste qui mette fin aux injustices générées par un système fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
Issu du peuple des exploités, il n’a pas eu à effectuer un « retour aux pauvres, en refusant, par exemple, les grandes kermesses des dominants, ainsi que les signes extérieurs de pouvoir comme les chaussures rouges ou l’appartement papal luxueux. » ou en arborant ostensiblement, comme un certain Henri Grouès dit l’abbé Pierre, béret douteux, cape usée, soutane défraîchie, canne et croquenots boueux afin de faire peuple ! Il avait compris très tôt ce que recouvrait réellement le concept de « charité » dont l’un de ses concitoyens avait fait son cheval de bataille pour ne pas dire son fonds de commerce. Il savait depuis toujours ou presque, que la charité a ceci de particulier qu'elle donne un pouvoir supplémentaire à celui qui l'exerce, sur celui qui la reçoit. Elle instaure une double inégalité entre les deux parties. Elle crée une relation de dépendance entre le débiteur et le créditeur. Et cette dépendance ne prend jamais fin. Contrairement à ce qui se passe dans le domaine de la banque où un prêt remboursé met fin, ipso facto, à la relation entre le banquier et l'emprunteur, la charité crée une obligation morale à laquelle le débiteur ne peut se soustraire sous peine d'être stigmatisé, taxé d'ingratitude, quand bien même il aurait réglé sa dette. La charité chrétienne est donc en réalité le contraire de ce qu'elle prétend être puisqu'elle renforce le pouvoir de celui qui possède au détriment de celui qui n'a rien. À la dépendance matérielle elle ajoute une dépendance morale. Elle fait de celui qui reçoit un sous-homme ad vitam aeternam. L’auteur de cet article de Frustration Magazine, pas plus que les responsables d’Info Libertaire qui se prétendent anarchistes, ne semblent pas avoir compris cela, qui portent cet “engagement auprès des pauvres” au crédit d’un jésuite argentin récemment décédé lui aussi… Au passage on peut aussi noter une appréciation plus que favorable concernant le style de vie des jésuites : « la Compagnie de Jésus, un ordre religieux fondé par Ignace de Loyola au XVIe siècle qui se distingue par une approche pastorale tournée vers les démunis (justice sociale, accompagnement des marginalisés, engagement auprès des pauvres). Les jésuites sont également formés à vivre avec sobriété. » Ici, on frise le dithyrambe !
Contrairement à notre homme, ils n’ont pas l’air d’avoir saisi, non plus, le sens véritable du mot « écologie ». « “écologie intégrale” “conversion écologique” des systèmes économiques et du rapport à la nature » disent-ils en reprenant certains mots du souverain pontife . Mais pourquoi oublient-ils pudiquement les termes « consumérisme » (13 fois !) « être humain (89 fois !) et Homme (44 fois !) » ? Ces mots employés par le pape permettent d’imputer la responsabilité des dégâts causés à la “nature” à la cupidité sans limite de tous les hommes, indistinctement ! Mais pouvez-vous nous dire ce qu’il y a de commun entre un ouvrier Michelin, Renault, ou Peugeot, un employé de banque ou une caissière de supermarché, qui peinent à joindre les deux bouts avec un salaire dérisoire qu’on appelle SMIC , et les patrons de ces grandes entreprises, les Bolloré, Arnault, Lagardère, Ghosn, Pinault, Charlès et autres Pferdehirt ? Sans parler de cette masse indistincte et très réduite de gens très discrets qu’on ne connaît que sous le terme générique lui aussi, “d’actionnaires” ?
En vérité, il n’y a rien de commun, et vous ne pouvez l’ignorer. Il n’existe pas un ensemble « humains » mais une société dans laquelle des individus ultra minoritaires qui détiennent les moyens de production coexistent avec des millions d’hommes, de femmes et de jeunes obligés, pour survivre, de vendre leur force de travail aux détenteurs des moyens de production susnommés. Il est étonnant que des gens se réclamant de l’anarchisme ignorent cela et s’alignent sur les positions du souverain pontife !
Il existe bien un problème « systémique », mais il n’a rien à voir avec un prétendu « consumérisme ». Ce qui est en cause, c’est le système de la propriété privée des moyens de production lequel génère l’exploitation de l’homme par l’homme et conduit à « l’effondrement global » que vous évoquez. « La transformation radicale qui s’impose » ne saurait être la réduction de la consommation ainsi que vous le suggérez à l’instar du pape François, qui, naguère, dans son encyclique « Laudato si’ » écrivait, toute honte bue : « Nous sommes bien conscients de l’impossibilité de maintenir le niveau actuel de consommation des pays les plus développés et des secteurs les plus riches des sociétés. ». Ce qui signifiait en termes crus, mais clairs qu’il faudrait ramener tout le monde au niveau des pays sous-développés !
Contrairement à ce monsieur, en ce qui nous concerne, nous considérons que « seule l’expropriation capitaliste peut réaliser l’émancipation intégrale », car nous savons (et vous pouvez le savoir aussi !) que les lois de l’économie capitaliste ne peuvent autoriser autre chose qu’une exploitation toujours plus âpre de la classe laborieuse.
Et ce n’est pas tout ! S’agissant des migrants et des palestiniens les auteurs anarchistes de l’article en question ne tarissent pas d’éloges. C’est un véritable panégyrique : « en 2015 il avait demandé « que chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d’Europe accueille une famille » de réfugiés. » Belles paroles, vraiment, mais qu’en a-t-il été réellement ? Sans compter que cet appel vibrant à la charité ne fait que couvrir la vraie raison qui pousse des millions de misérables à affronter les dangers d’une « Méditerranée et [d’une] mer Égée devenues un cimetière insatiable, une image de notre conscience insensible et endormie” » car l’exploitation capitaliste forcenée des richesses et des hommes de ces pays, pudiquement dits « en voie de développement », n’est pas pour rien dans cette horrible situation… Et nos anarchistes de salon de reconnaître, quand même, que « le Pape François n’est évidemment pas anticapitaliste » !
Il en est de même pour la Palestine et particulièrement Gaza à propos de quoi il a eu des mots très forts : « selon certains experts, ce qui se passe à Gaza présente les caractéristiques d’un génocide » sans jamais aller au fond du problème, à savoir qu’Israël est une dictature militaro - théocratique, progéniture monstrueuse issue de la copulation du sionisme et de l’Amérique impérialiste.
« Une crèche au Vatican avec l’enfant Jésus sur un keffieh, le foulard traditionnel des Palestiniens. » n’est-ce pas s’acheter une bonne conscience à bon marché !
D’ailleurs, les félicitations de la vieille direction corrompue du Fatah et du collabo Mahmoud Abbas qui a salué “un ami fidèle du peuple palestinien” en disent long sur la valeur réelle des condamnations proférées par le Vatican…
Il en va du « pape des pauvres » comme, naguère, d’une certaine « princesse du peuple » ! Il est des journalistes pour qui l’oxymore tient lieu de raisonnement, des plumitifs laborieux et stipendiés, friands de ce qu’ils croient être des bons mots. Cependant en général ce n’est pas gratuit et le “bon mot” a une fonction. Son auteur émarge le plus souvent au budget du Capital.
En fin de compte, cet article publié par un site anarchiste s’apparente étroitement à une défense et illustration de l’action de Bergoglio pour ne pas dire d’une apologie du personnage…

En ce qui nous concerne, nous n’avons pas dit “au revoir ” à notre camarade, encore moins “adieu”, nous n’avons pas dit “paix à son âme” car il savait et nous aussi que “l’âme ” n’existe pas plus que le dieu des diverses religions, nous n’avons pas demandé que les cloches de Notre-Dame de Paris retentissent 88 fois, comme elles l’ont fait en hommage au Pape François mort à l’âge de 88 ans. En revanche nous avons levé le poing et entonné l’Internationale comme il l’aurait voulu !
G. Douspis