Groupe « Raison et Vérité » de Villefranche sur Saône.
Le grand livre des procès-verbaux de délibérations du groupe « Raison et Vérité » de Villefranche-sur-Saône a été déposé au siège de l’IRELP. Il couvre les délibérations de cette société de sa fondation le 12 juillet 1906 au 26 octobre 1914 et présente un ultime procès-verbal de septembre 1921. Pas de PV d'octobre 1914 à septembre 1921.
Il contient des témoignages sur les délibérations de cette société et sur ses liens avec les autres sociétés de Libre-Pensée de la Fédération du Rhône et avec celle des fédérations voisines de Saône-et-Loire et de l'Ain.
Témoignages précieux et souvent inédits : dans la mesure où ils ne sont pas couverts par les publications nationales déjà archivées à l’IRELP relatives à l’ANLPF et à la FFLP à cette époque.
La fondation de cette société – 1906 - fut l'aboutissement tardif d'une longue maturation, encouragée par les résolutions adoptées aux Congrès universels de l’AILP à Genève en 1902, à Rome en 1904 et à Paris en 1905, et par la participation de libres penseurs du Rhône, de l'Ain et de la Saône-et-Loire à ces congrès, ainsi qu’aux congrès nationaux tenus à Lyon en 1884, puis en 1890 et aux congrès régionaux, dont celui de Lyon en 1892. Le citoyen Deshaires, de Pont-de-Veyle (01), figure dans la liste des délégués aux congrès universels de Rome et de Paris.
La citoyenne Marie Boust, de Lyon, figure dans la liste des délégués à Paris 1905, ainsi qu'une dizaine de libres-penseurs du Rhône dont le professeur Vermare, conseiller général d'Oullins.
La société « Raison et Vérité » regroupait des libres penseurs de Villefranche-sur-Saône et de communes proches (Denicé, Lacenas. Liergues, Morgon, Pommiers). Elle entretenait des relations étroites avec Ars-sur-Formans, Bellegarde-sur-Valserine, Chalamont, Châtillon-sur-Chalaronne, Thoissey, Villars-les-Dombes dans l'Ain. Elle était ancrée dans la fédération du Rhône, aux côtés des sociétés de Lyon, de celles du Beaujolais (Brouilly, Chiroubles, Villié-Morgon), du Bois-d'Oingt, de Neuville-sur-Saône et de Vaugneray. Ses liens avec les sociétés de Libre-Pensée de la Fédération de Saône et Loire, qui aurait été une des premières fédérations de libre-pensée créées en France, semblent limités aux sociétés de Louhans et du Mâconais.
Les statuts adoptés le 5 juillet 1906 sont restés la référence jusqu'en 1921.
- Article 2 : propager et mettre en acte la philosophie rationaliste, c'est-à-dire le développement intensif d'une morale et d'une organisation sociale uniquement fondées sur une base égalitaire absolue pour l'un et l'autre sexe, sur la vérité scientifique de la raison.
- Article 3 : son action consiste en réunions, fêtes, collectes, conférences destinées à soutenir les écoles laïques et les œuvres démocratiques (…), assister ses membres dans leurs derniers moments (…), composer les cortèges civils (…), à condition de ne reconnaître aucun dogme, ne pratiquer aucune religion, d'avoir déposé un testament, de ne présenter ou de patronner officiellement des candidats aux élections politiques, ni d'être candidat, de verser un droit d'adhésion de 1F, plus une cotisation mensuelle de 0,5 F (…). Les enfants de 7 à 18 ans des membres du groupe sont agréés comme pupilles à la demande de leur parents (…). Le groupe est administré par une Commission Exécutive de 10 membres, renouvelables chaque année par moitié. La CE élit un bureau, un secrétaire, un trésorier, un archiviste. Ses réunions sont mensuelles.
- Les membres de la CE sont tenus à assister à toutes les Assemblées Générales (trimestrielles). La CE se prononce sur les demandes d'admissions, de radiations et d'exclusions. La CE est chargée d'organiser l'assistance aux sociétaires malades.
- Ont été élus comme secrétaires : Badin, Georges Mertz (1906-1913), Delplanche, François Guillermain, Georges Volland [en 1921 - ?].
- Ont été élus comme trésoriers : la citoyenne Hachette puis Melchior Hachette, Denis Juillard (section des pupilles), puis Antoine Jacquet qui fut aussi archiviste.
Chaque réunion de bureau a adopté les comptes-rendus des mandats, le rapport de trésorerie, le rapport de l'archiviste chargé de veiller au règlement des cotisations et à la rentrée des testaments.
Le compte rendu de mandat écrit de George Mertz, lu le 7 novembre 1913 en Assemblée générale, permet de préciser des engagements tenus par la société qui ne sont pas mentionnés ci-dessus :
- La participation à toutes les manifestations contre les guerres, contre les 3 ans, contre les bagnes militaires.
- La dénonciation des Libres-Penseurs « à la Poincaré » (sic) qui voulaient faire de la libre pensée « une chapelle de sectaires » (sic).
- L'aspiration à l'unité des frères libres penseurs fédérés ou autonomes « La Libre Pensée doit être unie, dans la rue, par les liens sacrés de la fraternité et de la solidarité, même si elle est divisée dans son sein», précise Georges Mertz.
Qu’en fut-il en réalité sur le terrain et en son sein ?
1906 : Les premiers pas de la société (4 nouveaux adhérents)
- 5 juillet : adoption des statuts, élection de la première Commission exécutive,
- 12 juillet : élection du bureau : Badin, la citoyenne Hachette, Melchior Hachette, Antoine Jacquet,
- 20 octobre : conférence de Humbert, sur « l'action sociale de la Libre Pensée », présidée par Antoine Jacquet
1907 : avec Georges Mertz, la société se développe.
G. Mertz est élu secrétaire en remplacement de Badin parti à Lyon. Notons qu'il n'est pas question d'un président de la société. La société organise une conférence avec la participation de trois orateurs, le 3 septembre, suivie d'une tombola.
- Lavis : « La Libre Pensée et la science »
- Borest : « La Libre Pensée et la famille »
- (?) « Charité chrétienne et charité bourgeoise ».
1908 : la société (45 adhérents) défend l'autonomie des sociétés de libre-pensée. Participation à 8 réunions de la Fédération LP du Rhône, inscription de 22 nouveaux adhérents.
- 27 janvier, 2 conférences : « questions sociales et questions religieuses » (Marie Boust), « Religion et libre-pensée » (Ponson)
- 7- 8 juin : participation au congrès de la Fédération LP de l'Est et sud-Est à Saint-Etienne, congrès où fut décidée l'organisation d'un congrès national au Puy-en-Velay pour 1909.
Y fut défendue et adoptée la proposition présentée par Marie Boust « que les groupes fédérés gardent leur autonomie complète pour ce qui concerne les admissions, les radiations, les exclusions », notamment pour ce qui touche les francs-maçons, que certains voulaient rejeter sous prétexte que la franc-maçonnerie serait une religion.
- 10 juillet : l'Assemblée générale décide de s'adresser aux pouvoirs publics pour les rappeler « aux pratiques fondamentales de la République », contre les atteintes graves à la liberté de penser portées par certains ministres et ratifiées par le Parlement, « pour que tout citoyen, fût-il fonctionnaire public, garde sa pleine indépendance dans l'exercice de ses fonctions. »
L'Assemblée décide d'offrir 3 prix aux 3 écoles laïques (un à celle des garçons, 2 à celles des filles).
1909 : 197 inscrits pour le Puy-en-Velay. 600 réunis à Ars, 33 nouveaux adhérents.
- De nombreux débats ont porté sur l'achat des draps mortuaires. Rouges pour les adultes, blancs pour les adolescents, blancs aussi pour les enfants.
- Décision fut prise de diffuser « La peste religieuse » (cf. Avenir socialiste n° 245).
- Participation massive au Congrès national du Puy-en-Velay les 29, 30, 31 mai. Les sociétés de Villefranche-sur-Saône et la Beaujolaise ont uni leurs efforts (197 inscrits par ces sociétés pour le train spécial).
- La fête laïque du 6 juin à Ars-Sur-Formans fut un nouveau succès contre la réaction cléricale : 52 groupes représentés, 600 participants. Un banquet et une conférence ont succédé au dépôt de gerbe sur la tombe d'un libre-penseur.
- Le 2 octobre, une conférence s'est tenue, organisée par le comité de défense des victimes de la répression en Espagne, avec la participation de la Beaujolaise et de la société de Villefranche.
1910 : Nouvelle bonne année pour les 85 Libres-Penseurs (17 nouveaux adhérents, 8 à la campagne, 10 en ville). La société a accompagné 18 enterrements civils, elle a participé au congrès fédéral de Valence (14-15 août 1910) et au Congrès départemental tenu à Villefranche-sur-Saône. Dès le 26 janvier, elle a participé à la fête organisée par la LP du 3e arrondissement de Lyon, suivie par une manifestation à Châtillon-sur-Chalaronne, puis à la manifestation à Pont-de-Veyle, ensuite à celle de Thoissey le 22 mai. Aide à la tenue de conférences à Bellegarde, Louhans et Nantua.
Le 20 juin, participation aux côtés de la LDH et du comité socialiste à une conférence organisée à Villefranche par le groupe de défense sociale.
Le 26 juin, participation à Lyon à une manifestation contre les bagnes militaires.
Le 14 août, participation à Vienne à la célébration de Michel Servet.
Le 4 octobre, fête à Pont-de-Veyle en l'honneur du député Baudin, avec la participation de Georges Mertz et de Melchior Hachette. Au chapitre de la solidarité, notons un versement pour les victimes d'inondations et une aide à une orpheline.
1911 :
19 mars : Conférence de Marie Boust sur l'intolérance cléricale et d'Antoine Jacquet. La société de Villefranche se prononce pour l'unité des libres-penseurs et contre les quêtes à domicile.
26 mars : 3 délégués avec le fanion pour manifester à Lyon.
4 avril : soutien au comité français pour la révision du procès Ferrer.
9 avril : Marie Boust et Georges Mertz sont délégués au congrès départemental de la LP à Oullins, mandatés pour y défendre l'autonomie des groupes fédérés.
28 mai : participation à la fête Jeanne d'Arc à Neuville, au défilé, au banquet, à la conférence. Affichage de nos affiches « Jeanne d'Arc brûlée par les prêtres. »
2 juin : participation au Congrès fédéral de l'Est et du Sud-est à Pont-de-Veyle.
2 juillet : 6 participants de la société de Villefranche au banquet, au défilé et à la conférence organisés à Neuville. Marie Boust et le citoyen Bonnet sont les conférenciers, défilé de 400 manifestants, banquet à 150 couverts.
13-14-15 août : 4 délégués de Villefranche au Congrès « national » de la LP à Lyon, auquel participent Marie Boust et le professeur Vermare, ainsi que Bazire, Prouvost, Hubbard et E. Noël.
15 octobre : inauguration du monument Servet à Vienne avec tous les fanions des sociétés LP de la région, 25 inscrits du groupe de Villefranche.
24 décembre : inauguration du monument Deshaires à Pont-de-Veyle. Marie Boust et Georges Mertz sont les orateurs. La fête est grandiose : 12 drapeaux en tête, suivis 600 délégués venus de tous les groupes de la région.
1912 : année marquée par la création de la section des Pupilles « L'avenir laïque », par le procès intenté par Georges Mertz, par l'organisation d'une souscription pour le soutenir contre l'abbé Huguet et le curé Vernet, et pour la participation à la souscription Dolet.
14 janvier : envoi de 5 participants à la fête des Libres- Penseurs du 3e arrondissement de Lyon en faveur de leurs pupilles.
24 janvier : rapport de G. Mertz pour la remise à l'État et aux départements de tous les édifices de cultes et de leur libre disposition en faveur des organisations philosophiques, politiques et syndicales.
10 mars : vote d'une délibération en faveur du respect des dernières volontés des défunts. François Guillermain est nommé secrétaire-adjoint.
4 août : adhésion au vœu contre le projet de loi d'institution d'une fête Jeanne d'Arc.
Le sénateur Beauvisage (du Rhône) participe au Congrès national de Lille.
Au bilan, 8 nouveaux sociétaires.
1913 : L'élan Libre-Penseur est stoppé. Les comptes-rendus sont marqués par le pessimisme du secrétaire qui souligne le peu d'empressement des sociétaires à assister aux réunions statutaires : assemblées générales et commissions exécutives. La CE du 10 juillet a été annulée ; 5 présents à celles de septembre et du 17 octobre. G. Mertz est malade. D. Juillard et Claude Descombes démissionnent de leurs fonctions sans démissionner de la LP. Toutefois, l'élan Libre-Penseur est stoppé. Le 9 mars, la CE est renouvelée : G. Mertz reste secrétaire, François Guillemain secrétaire-adjoint, Melchior Hachette trésorier. Parmi les autres membres figurent Marie Boust, la citoyenne Hachette, Antoine Jacquet, Denis Juillard, Claude Descombes. Les délibérations rapportées indiquent des engagements limités, conséquence de la maladie de G. Mertz à partir de l'été 1913.
- Conférence de Jules Claraz, le 26 février.
- Versement de 10 francs pour le monument Dolet à Lyon le 9 mars.
- Délégation à Ars-sur-Formans.
- Organisation d'une tombola, tirage en juillet.
- Organisation d'une fête de la solidarité laïque de la Libre Pensée de la région au profit de la section des Pupilles « L’avenir laïque », le 8 juin, pour le 4e anniversaire de la première manifestation d'Ars.
- Procès Mertz contre deux ecclésiastiques (l’abbé Huguet et le curé Vernet).
L'animation de la société dépend dès lors de François Guillermain, des époux Hachette et de Marie Boust, « toujours prête ». L'adhésion de 5 nouveaux membres semble devoir plus, à la retombée des congrès nationaux de Lille ou de La Rochelle qu’au dynamisme de la société de Villefranche et de la fédération départementale animée alors par Marius Roche et par le sénateur Georges Beauvisage.
1914 : L'effondrement en cours de la LP « opérative » a été accéléré par la guerre. Le « vénéré secrétaire » Georges Mertz est mort. La société organise une souscription pour l'érection d'un monument sur sa tombe.
François Guillermain prend le relais. Il sera secrétaire jusqu'en 1921, secondé par Denis Juillard et Georges Volland.
Les instances continuent à être désertées : 15 présents le 4 juin, 7 présents le 6 septembre, 3 le 11 octobre, 5 le 14 octobre, 5 le 19 octobre. Pas de PV de la CE du 5 avril, aucune instance rapportée à partir d'octobre.
Les délibérations portent sur :
- « Que faire pour les membres sous les drapeaux ? »
- La souscription pour le monument Mertz.
- La souscription pour le monument Deshaires à Pont-de-Veyle.
- La proposition de tenue d'une réunion par Lorulot.
- La participation au congrès fédéral du Bois d'Oingt (3 délégués prévus, dont Marie Boust), le 5 juillet.
- Aide une pupille de la Ruche de Sébastien Faure à Rambouillet.
- La proposition de fusion des fédérations du Rhône et de la Saône-et-Loire formulée par Marius Roche, proposition acceptée.
- Pose d'une couronne sur la tombe du caporal Thierry Jules, enterré civilement, blessé mortellement sur le front.
1915-1921 : la LP opérative est « en berne ».
Du 25 octobre 1914 au 6 septembre 1921, François Guillermain, secrétaire, ne rédige pas de procès-verbal. Le redémarrage en 1921 est lent : 7 présents à l'Assemblée du 6 septembre avec François Guillermain, D. Juillard, Georges Volland et Victor Liégeon. On est loin des années Mertz-Boust-Deshaires !
Il n’en fut pas dans ce département comme dans celui de l'Oise où Emile Marielle a maintenu la fédération LP durant les années de guerre (témoignage d’André Lorulot).
Louis couturier, Pierre Girod, janvier 2025
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
- La LP du Rhône, numéro 1 de 1912.
- Lyon républicain.
- Le réveil (journal clérical)
- Le courrier du Beaujolais.
- L'avenir socialiste.
- La libre pensée en Haute-Loire 1850-1940, L'anticléricalisme (Georges Chanon) pour ce qui se rapporte à Jules Pontvianne et au congrès du Puy.
- Le libre penseur du centre et de l'Ouest pour les comptes-rendus des congrès nationaux de Lille 1912, La Rochelle 1913.
- Bulletin mensuel de la FFLP, compte-rendu officiel du Congrès de Paris, 3-7 septembre 1905, archives IRELP.