Mais que se cache-t-il donc sous les collants des footballeuses ?

Par un courrier daté du 27 février M. Vincent Nolorgues, président de la Ligue de football amateur, s’est adressé aux présidents de districts et ligues afin de rappeler que le port d’équipements comme les casques ou les collants ne pouvaient être portés qu’après une autorisation médicale délivrée par la Commission Médicale de la FFF après étude approfondie au cas par cas.

La raison ? Il s’agirait d’éviter tout "détournement du principe de neutralité, sous prétexte médical". M. Nolorgues va plus loin en indiquant que même si la commission médicale venait à autoriser ces équipements, ils "ne sauraient être portés avec des signes ostensibles, visibles d’appartenance, tels qu’interdits par nos statuts."

La menace de sanction est claire : "le refus d’ôter ou de cacher la tenue ou le signe ostensibles doit conduire à une application stricte de la règle : non-participation à la rencontre de la personne concernée, et en cas de refus de se retirer, le match ne peut se jouer."

Nombre d’arbitres amateurs ont fait remonter des infractions commises par des joueurs ou joueuses qui dissimulent cuisses et genoux « suivant les principes d’un islam rigoriste ». Comme le dit le collectif contre l’islamophobie : « Où donc va s’arrêter l’obsession de la FFF ? »

Pour justifier sa position, la FFF s’appuie sur un arrêt du Conseil d’Etat du 29 juin 2023 qui valide l’interdiction de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale lors des compétitions sportives, rejetant ainsi les pourvois contre la FFF introduits par plusieurs associations et, entre autres, par la LDH.

« Il résulte du principe de neutralité du service public rappelé par le I de l’article 1er de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 qu’une fédération sportive délégataire de service public est tenue de prendre toutes dispositions pour que ses agents ainsi que les personnes qui participent à l’exécution du service public qui lui est confié, sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, s’abstiennent, pour garantir la neutralité du service public dont elle est chargée, de toute manifestation de leurs convictions et opinions. (…) Une fédération sportive délégataire dispose du pouvoir réglementaire dans les domaines définis par [le] code du sport, pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui a été confié. À ce titre, il lui revient de déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations qu’elle organise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d’assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu, comme ce peut être le cas de la réglementation des équipements et tenues. »

Le Conseil d’Etat laisse donc aux fédérations sportives tout loisir pour interpréter ce qui relève du prosélytisme. C’est ce qu’on appelle la laïcité à géométrie variable. Exit donc les bas et les collants, quand bien même ils ne comportent pas d’emblèmes religieux …puisqu’ils peuvent constituer un possible détournement de la loi ! Et pour ce faire, le Conseil d’Etat s’appuie essentiellement sur la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République » et son titre 1er: « GARANTIR LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE ET DES EXIGENCES MINIMALES DE LA VIE EN SOCIETÉ », loi qui est un pur produit de la logique liberticide de la macronie et dont la Libre Pensée demande l’abrogation ;

Dans son chapitre 1 sur les « dispositions relatives au service public », il est dit en effet que « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité. »

De tout cela il ressort –c’est ce que j’en retiens – que le port de bas ou collants sur un terrain de sport « contrevient aux exigences minimales de la vie en société ». Je le reconnais humblement, je ne m’en étais pas aperçu.

Daniel Barenboim, dont la famille est d’origine ukrainienne, né en 1942,  est un pianiste et chef d'orchestre israélo-argentin. En 2002, il acquiert la nationalité espagnole et, depuis janvier 2008, il est également porteur d'un passeport palestinien.

Enfant prodige, il rencontre les plus grands instrumentistes et chefs d’orchestre (Rubinstein, Furtwängler, Markevitch parmi bien d’autres) Il se forme au piano avec Edwin Fischer puis Nadia Boulanger. Ses deux parents sont aussi tous deux professeurs de piano. Il donne son premier concert comme pianiste à Buenos Aires à l'âge de 7 ans.

En 1952, il s'installe en Israël avec ses parents.

Alors qu’il n’a que 11 ans, Furtwängler demande à l'entendre et lui propose des concerts avec le Philharmonique de Berlin. Son père refuse, Israël et l'Allemagne fédérale n'ayant pas renoué de relations diplomatiques.

Après ses années en Argentine puis en Israël, il s'installe à Londres, centre européen de la musique à l'époque. C'est sa période la plus heureuse, celle de son amour pour Jacqueline Du Pré, la violoncelliste britannique, qu'il a rencontrée chez la fille de Yehudi Menuhin, et qu’il épouse en 1967.

En 1975, Barenboïm devient directeur musical de l'Orchestre de Paris,  En 1989, trois jours après la chute du mur de Berlin, il dirige au pied levé l'Orchestre philharmonique de Berlin pour un concert dans la salle de la Philharmonie, concert gratuit réservé aux habitants de Berlin-Est.

En 1992, Il rencontre le professeur d'origine palestinienne Edward Saïd. Ils créent ensemble une fondation visant à promouvoir la paix au Proche-Orient par la musique classique, initiative qui lui attire de violentes critiques en Israël. C’est le début d’un atelier musical israélo-arabe et la création du West-Eastern Divan Orchestra, formé de jeunes musiciens israéliens et arabes, à Weimar en Allemagne.

En juillet 2001 pour la première fois, Barenboim parvient à imposer et diriger en Israël  la musique de  Wagner. Pour lui Wagner n’a rien d’un nazi et il considère toujours que la musique doit l'emporter sur la politique.

En 2004, il fait un don de 50 000 dollars pour l'enseignement de la musique à Ramallah où la même année il avait dirigé l'Orchestre des Jeunes de Palestine. Le conservatoire de Ramallah accueille 250 élèves, les professeurs étant des membres du West-Eastern Divan Orchestra.

Un passeport « honorifique » palestinien lui est remis en 2006 devant l'ambassadeur d'Israël et en présence de l'ambassadeur palestinien à l'ONU, à l’occasion d’une tournée avec le West-Eastern Divan Orchestra, au cours de laquelle il dirige le concert d'adieu pour le secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan.

La fondation Barenboim est une fondation publique établie à Berlin. Elle développe des projets éducatifs et culturels visant à promouvoir les valeurs humanistes à travers le langage universel de la musique, projets qu’elle mène principalement en Andalousie et en Palestine. En 2008, elle crée le Centre de musique Barenboïm-Saïd à Ramallah,

L'académie Barenboïm-Saïd est fondée à Berlin en 2012 dans l’objectif de former de jeunes musiciens principalement originaires du Moyen-Orient. Un espace, baptisé « Pierre Boulez Saal » est réaménagé en lieu de vie idéal pour la musique. L'académie s'y installe en octobre 2016.  L'académie est composée de trente-huit maîtres de réputation internationale. Etonnante école où l’on suit des cours de fugued'harmonie, de contrepoint, de composition et d'histoire de la musique, mais aussi des séminaires obligatoires de philosophie et de sciences politiques !

Le 4 octobre 2022, Barenboïm annonce être atteint d’une « maladie neurologique grave » et se retire de ses activités. Il annonce bientôt sa démission de son poste de directeur musical au Staatsoper de Berlin.  

Après les événements du 7 octobre 2023, il écrit, dans un message adressé le 10 octobre  aux musiciens du Divan Orchestra et aux étudiants de l'Académie : « J'ai suivi les événements de ce week-end avec horreur, et la plus grande préoccupation, alors que j'observe la situation en Israël et Palestine empirer […] L'attaque du Hamas sur la population israélienne civile est un crime atroce, que je condamne fermement. La mort de tant de personnes au sud d'Israël et à Gaza est une tragédie qui marquera durablement ». Les jeunes musiciens israéliens et palestiniens de l'orchestre et de l'académie rongés par l'angoisse tentent de passer au-dessus des tensions pour continuer malgré tout à s'asseoir ensemble aux pupitres.

Barenboim a fait l’objet d’innombrables distinctions. Notons que l'astéroïde « 7163 » a été nommé Barenboim  en son honneur. En mars 2007, Jacques Chirac, l’élevant au rang de commandeur de la Légion d'honneur a souligné son engagement pour la paix au Proche-Orient. Une autre époque ! Et en septembre 2007, il est nommé par Ban Ki-moon, son secrétaire général, « messager de la paix » des Nations unies.

A lire si vous le trouvez : Parallèles et Paradoxes : Explorations musicales et politiques, Le Serpent à plumes, 2003. Cet ouvrage est un recueil d'entretiens avec Edward Saïd.

 

Petit additif : qui est Edward Saïd ?

Edward Saïd (1935-2003) est un universitaire, et critique littéraire et musical palestino-américain, né d’une famille palestinienne chrétienne dans la partie occidentale de Jérusalem annexée par Israël. Il est un réfugié de la guerre de 1948.

Aux Etats-Unis, il devient un universitaire des plus en vue. Il écrit beaucoup (entre autres choses) sur le conflit israélo-palestinien et sur le Moyen-Orient.  Son ouvrage L'Orientalisme. est publié en 1978. Il y mène une analyse du discours colonial sur les populations orientales sous domination européenne en développant quatre thèses : la domination politique et culturelle de l'Orient par l'Occident, la dépréciation de la langue arabe, la diabolisation de l'arabe et de l'islam, et la cause palestinienne.

L'ouvrage, considéré comme un des textes fondateurs des études postcoloniales connaît un retentissement international et suscite d’intenses polémiques. Avec son collègue et ami Noam Chomsky, Saïd accorde de nombreuses interviews sur la politique étrangère des États-Unis.

En janvier 2006, un anthropologue obtient 147 pages du dossier du FBI sur Said, qui montre que Saïd était sous surveillance depuis 1971. Des parties considérables du dossier sont encore classifiées.

Saïd meurt de leucémie à New York à l'âge de 67 ans.

Dans son essai Zionism from the Standpoint of Its Victims, Edward Saïd a plaidé pour la légitimité politique et l'authenticité philosophique des revendications sionistes du droit à une patrie juive, mais aussi du droit inhérent à l'autodétermination nationale du peuple palestinien.

ASSOCIATION http://lesamisdepanaitistrati.weebly.com/

 ISTRATI

 

« La véritable tragédie de Panaït Istrati »

Les éditions Lignes viennent de publier « La véritable tragédie de Panaït Istrati », d'Eleni Samios-Kazantzakis. Ce texte écrit pour être publié en France l’avait seulement été au Chili en 1938.

Les amateurs de littérature ont pu redécouvrir Istrati par la publication de ses « Oeuvres complètes » (sauf correspondance) aux éditions Phébus en 2006, et par la réédition dans la collection poche folio de nombreux romans.

Istrati fut mondialement connu dans les années 1920-1930, puis fut largement oublié.

Il publia au retour d'un long voyage à travers l'URSS en 1927-1929, un livre « Vers l'autre flamme » qui déchaîna la haine des staliniens contre lui.

Le livre d'Eleni Samios-Kazantzakis, relate leur voyage en URSS. Istrati est accompagné de sa compagne et d'un autre écrivain grec Nikos Kazantzakis(1) et sa femme Eleni. Ce témoignage est une évocation-souvenir, il ne s'agit pas d'un carnet de voyage écrit au jour le jour, où immédiatement  après.

L'effondrement du stalinisme permettra la redécouverte de cet écrivain, grâce aux efforts de l'association des amis de P. Istrati. Pourquoi cette haine, pourquoi un black out si long ?

Le lecteur d'aujourd'hui ne connait pas forcément l'écrivain ni son parcours, il est nécessaire donc d'y revenir d'abord.

Un autodidacte, un révolté, un bourlingueur, un passionné de littérature :

Panaït Istrati né en 1884 en Roumanie. Enfant apprenti surexploité, il part un beau matin à l'aventure malgré les supplications de sa mère. Il lit beaucoup et se fait battre comme plâtre par ses patrons parce qu'après dix heures de travail il prend encore le temps de lire. Il parcourt l'Orient et l'Europe, faisant tous les boulots. Ses romans sont largement inspirés de ses expériences. A plusieurs reprises il échoue à rejoindre clandestinement le pays de ses rêves, la France. Il y parvient, mais son désespoir et sa misère sont tels en 1920 qu'il fait une tentative de suicide. Les policiers trouvent sur lui une lettre adressée à Romain Rolland, et l'envoient au destinataire qui  répond et permettra  au jeune écrivain de publier son premier ouvrage écrit en français en le présentant comme le Gorki des Balkans. Le cauchemar vire au conte de fée, les romans d'Istrati s'enchaînent, à partir de 1925, le succès est au rendez vous, il est publié dans le monde entier.

Octobre, un espoir pour le monde:

Istrati a raconté le choc émotionnel et l'enthousiasme qu'a suscité la révolution d'octobre 1917, pour lui, alors qu'il était en Suisse. Comme pour tous les opprimés de cette Europe à feu et à sang, c'était l'espoir de la fin du carnage, la terrible période de la capitulation des dirigeants ouvriers enfin surmontée, le soulagement puisque là bas, « ils ont osé », selon la formule de Rosa Luxemburg.

Istrati est avant tout un artiste et n'a jamais été un militant même si avant la guerre il a combattu avec les socialistes et les syndicalistes en Roumanie, puisqu'il tâta de tous les métiers. Il participa à la grève générale de 1910 et fut arrêté alors (2)). Il connaît bien le principal leader du mouvement ouvrier roumain, Racovsky, qui a organisé l'accueil en 1905 des marins révoltés du Potemkine, réfugiés en Roumanie. Il est donc dans les années 1920 un partisan de l'URSS, non pas un compagnon de route du PCF, mais un ami de la révolution ouvrière et paysanne. «L'apparition du bolchevisme me subjugua, j'y adhérais promptement le lendemain de la révolution d'octobre ».

Ses romans sont écrits en français  dans une prose poétique remarquable; les personnages, les événements, les récits expriment la turbulence de la vie, l'amitié au dessus de tout, la soif de liberté, la rage contre la misère et la souffrance. Istrati se moque de toutes les écoles littéraires  et n'écrit que pour crier sa soif de vivre. Un de ses romans le plus réussi et des plus poignant : « Les chardons du Baragan », paru en 1928, se déroule au moment de la révolte paysanne durement réprimée en Roumanie au début du siècle.

En 1927 Istrati est invité aux cérémonies du dixième anniversaire de la révolution Russe. Il part avec Racovsky ambassadeur à Paris, qui vient d'être rappelé et démis de ses fonctions.

Racovsky a fait partie pendant la guerre de ces socialistes comme Lénine ou Rosa Luxemburg qui ont combattu contre le grand massacre et dénoncé la trahison des dirigeants socialistes qui ont participé à l'union sacrée. Il a participé à la conférence de Zimmerwald en 1915, à la fondation de la 3ème Internationale, et il est devenu par la suite un des dirigeants du parti communiste en URSS. Il sera le premier président de la république soviétique d'Ukraine en 1919. Dès 1923 il s'oppose à la bureaucratie, et Staline pour l'écarter l'envoie comme  ambassadeur à Londres puis à Paris. En 1927 il fait partie de l'opposition regroupée autour de Trotsky.

Quand il arrive en URSS, Istrati est enthousiaste et n'a pas encore mesuré que depuis 1924 un combat décisif se livre entre la direction bureaucratisée du parti bolchevik et l'opposition. Même s'il sait que Trotsky est écarté du pouvoir, il n'a aucune idée des raisons de ce revirement. Il reprochera d'ailleurs à Racovsky de ne pas lui avoir donné plus d'informations sur ce combat.

Les cérémonies officielles l'ont ennuyé, et il veut se faire sa propre idée de ce qui se passe dans le pays. Il veut voyager librement.

1927-29, années charnières :

Il suffit de donner deux repères : en 1927 Trotsky est exclu du Bureau Politique, puis exilé à Alma Ata. En 1929 tous les dirigeants de l'opposition qui n'ont pas renoncé à la lutte sont emprisonnés, Trotsky est expulsé d'URSS. C'est donc au moment où la répression s'accentue et où le pouvoir de Staline va devenir de plus en plus total, que Istrati parcourt l'URSS en long et en large, discute, multiplie  les rencontres en dehors des guides et officiels. Il va s’engager dans la défense d'un écrivain et membre de l'opposition trotskyste, Victor Serge.

A son retour en France il publie un ouvrage « Vers l'autre flamme », composé de trois parties, l'une qu'il écrit, deux autres qu'il signe mais qui ont été écrites par Boris Souvarine et Victor Serge. (La première partie est publiée dans ses Oeuvres chez Phébus).

Ce livre démarre par un rappel de son rejet du capitalisme et de son hypocrisie honteuse. Il donne deux exemples de sa barbarie tirés de l'actualité lors de son séjour à Paris. Pays pourtant civilisé, pays des lumières, patrie des droits de l'homme. Il relate ensuite son voyage et ce qu'il a constaté en URSS : son aversion pour la bureaucratie qu'il a vue à l’oeuvre, en train d’étouffer les idéaux de la révolution.

Les écrivains, les journaux du PCF, et notamment Henri Barbusse, déclenchent aussitôt une campagne haineuse contre lui l'accusant d'être un agent de la Sécuritate roumaine et de Mussolini. Il faut peut-être préciser que Hitler n'est pas encore au pouvoir en Allemagne en 1930 et que la Gestapo n'existe pas, ce n'est qu'un peu plus tard que les staliniens accuseront tous ceux qui critiquent Staline dont Istrati lui-même, d'être des agents de la Gestapo.

Romain Rolland ne le défend pas et lui demande de se taire.

Cette avalanche de boue et de mauvaise foi, pèsera sur le moral d'Istrati. Les insultes sont d'autant plus violentes que dans son livre il rend hommage à Trotsky, au moment même où Staline donne la consigne de ne plus traiter l'opposition comme un adversaire politique mais comme une agence des capitalistes.

Sa tuberculose s’aggrave, il a du mal à se faire éditer, il n'est pas du genre à avoir fait des économies. Il rentre en Roumanie, poursuivi par la haine des staliniens et les agressions des fascistes. Il meurt en 1935 dans un sanatorium, non sans avoir pu écrire en 1933 deux textes d'une grande beauté : « Méditerranée lever de soleil » et « Méditerranée coucher de soleil ».

Mauriac et les catholiques tenteront une récupération, mais Istrati n'était pas du bois dont on fait les mystiques.

La rencontre du crétois et du céphalonite :

P. Istrati assiste à Moscou aux manifestations du 10ème anniversaire , note l'enthousiasme des foules, s'étonne du matraquage de l'opposition qui tente de manifester, du suicide de Ioffé, mais ne voit pas le sens du combat de cette opposition qu'il ne connait pas et dont Racovsky ne lui a pas parlé. Les opposants doivent se méfier et peuvent craindre que Istrati trop confiant dans le paradis socialiste ne les trahisse.

C'est en URSS en 1927, en voyage organisé pour les écrivains, que Istrati rencontre Kazantzakis, ils sympathisent : « Kazan » qui se nomme « le crétois »  appelle Istrati « le céphalonite ». Comme toutes les amitiés d'Istrati, son amitié avec Kazan est totale, passionnée, tumultueuse. Istrati envisage de s'installer en URSS, ils décident  d'aller d’abord faire de la propagande en Grèce et de revenir s'installer au pays de la révolution d'octobre, « nous allons maintenant en Grèce crier notre enthousiasme de ce que nous avons vu en URSS. Puis nous y retournerons pour y vivre, apprendre et lutter. » écrivent-ils à Staline. Très vite ils sont expulsés par la police grecque et décident de retourner en URSS avec leurs compagnes.

Le récit d'Eleni Samios-Kazantzakis :

Le récit a été écrit après coup et donne un souvenir parfois assez différent de ce que rapporte Istrati dans « Vers l'autre flamme ». Il est intéressant de les comparer.

Les voyageurs ont obtenu par Lounatcharski et Olga Kamenova (sœur de Trotsky), un permis de circuler et aller où bon leur semble. Les déplacements se font en train mais aussi dans des autos mises à leur disposition et à cheval dans le Caucase. C'est dans la joie que commence le périple, ce que traduit bien le récit. « Un homme sera le héros de ce livre … voici donc ces êtres donquichottesques en marche vers Nijni Novgorod ...». Eleni indique que souvent Istrati les abandonne pour aller discuter avec les gens au lieu de se rendre aux réceptions officielles. Il cherche à se faire une idée par lui même et va être peu à peu étonné puis choqué de la réaction de dirigeants dont le comportement ne correspond pas à ce qu'il attend de bolcheviks. Ils rendent visite à Racovsky, exilé à Astrakhan en Asie centrale. Le récit d'Eleni donne le sentiment qu'il est en bonne forme, travaillant pour le plan, et satisfait de son sort. Istrati voit l'abime entre la position de l'ambassadeur à Londres et à Paris et les difficultés terribles dans lesquelles on l'a jeté et qu'il essaye peut-être par fierté de camoufler. Il se plaint que Racovsky élude ses questions.

Eleni donne des portraits des quatre voyageurs et de leurs réactions, des anecdotes amusantes où se révèlent les personnalités de chacun. Elle note que des tensions apparaissent peu à peu entre Istrati et Kazantzakis. Elle les attribue au caractère changeant et bouillonnant d'Istrati, à ses sautes d'humeur, ce n'était pas un homme facile à vivre, elle en donne des exemples. Mais elle note aussi que l'appréciation qu'ils portent sur le régime diverge. Kazantzakis voit les mauvais cotés du pays comme un mal humain inévitable, tout n'est pas parfait mais l'avenir appartient à l'URSS. Istrati comprend que la gangrène bureaucratique est déjà bien avancée et que l'espoir d'octobre 17 est en péril. Il décide de rentrer en France alors qu'il avait prévu d'aller via la Sibérie en Chine et au Japon avec son ami. Ils se quittent sans se serrer la main.

Eleni ne donne qu'un court aperçu de l'affaire Roussakov (3) qu'elle considère comme un fait divers. Elle a une grande signification pour Istrati qui s'engage à fond pour défendre le beau- père de Victor Serge victime d'une machination qui a pour but de terroriser l'opposition. Il réussit à se faire recevoir par Kalinine, président de l'URSS, mais la veulerie de ses adversaires, le poids de la machine bureaucratique, le dégoûtent profondément.

Le récit d'Eleni est donc intéressant, en complément de celui d'Istrati dans « Vers l'autre flamme », dont il n’a pas la force. Il montre cependant le coté aventurier et passionné de l'écrivain, l'amitié tempétueuse des deux poètes, la liberté qui règne encore dans le pays sur lequel la chape de plomb stalinienne n'est pas complètement tombée.

Les annexes

Une postface donne le contexte historique et des précisions sur les personnages qui apparaissent dans le récit, Istrati et sa compagne Bilili, Nikos Kazantzakis, Victor Serge.

Une notice explique « les vagabondages d'un manuscrit » et les raisons qui ont rendu impossible sa parution en France.

Il est clair que les staliniens ont pesé de toutes leurs forces pour que Istrati soit effacé de la littérature, et le livre d'Eleni (même s'il donne une vision plutôt sympathique du régime en 1928) en présentant Istrati comme un homme sincère, passionné et révolté par ce qu'il constate, donne une image bien différente de celle que présentaient les insultes déversées par les staliniens. Et pour les bureaucrates il n'était pas question de tolérer ne serait-ce qu'une présentation un peu chaleureuse de cet écrivain, de son amertume et de sa souffrance face à la trahison de son idéal, celui de la révolution d'octobre.

Le livre présente aussi la correspondance Kazantzakis-Istrati qu'ils ont repris entre 1932 et 1935. Le « crétois » a pris l'initiative de lui écrire alors qu'il était malade et leur amitié reprend. Ces lettres sont émouvantes.

Il contient ensuite des lettres envoyées par Victor Serge à Panaït Istrati qui montre la dégradation rapide de sa situation en URSS avant son arrestation en 1931.

En redonnant des morceaux de vie de ce grand écrivain, l'édition du livre d'Eleni Samios-Kazantzakis, pour la première fois en France, donnera aux passionnés de littérature envie de lire ou relire Panaït Istrati, de connaître son parcours.

                                                                       …..

  • Nikos Kazantzakis, écrivain grec, 1883-1957, connu pour son roman Zorba le grec qui fut transposé à l'écran .
  • « Le congrès socialiste en 1912, sur la proposition de Racovsky – malgré que mauvais cotisant – me nomme administrateur de l'Ecriture socialiste, puis rédacteur, puis secrétaire du syndicat du port Braila, mais je passe par tous ces postes comme le chat dans l'eau. » Autobiographie 1923.
  • Affaire longuement présentée dans le livre « Vers l'autre flamme ». Roussakov, vieux militant du mouvement ouvrier, est victime d'une campagne de calomnies dans la presse. Istrati fait de nombreuses démarches pour le défendre, avec Victor Serge qui est son gendre, et à cette occasion se heurte de front au système bureaucratique.

FLOREAL

de l’An II

Ni Dieu ni Maître

Lettre mensuelle d’informations de la Fédération du Rhône de la Libre Pensée

Parution tous les 22 du mois républicain en cours

Avril 2024

Les événements

Hommage à la COMMUNE de LYON 1870 1871 : nous serons présents sur le parcours du 1er mai avec les panneaux "affiches" et reproduction de la plaque de la Guillotière…plus sur https://www.librepenseerhone.org/16-themes/activites-federation-rhone/165-2024-03-21-creation-asso-commune-lyon.html

Acheter le livre "les libres-penseurs dans la Résistance", aux éditions libertaires et aux éditions de la Libre Pensée, 436 p, 14 €, à commander auprès de Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. sous quinzaine…Lire  https://www.librepenseerhone.org/16-themes/activites-federation-rhone/172-2024-04-19-les-libres-penseurs-dans-la-r%C3%A9sistance.html

Affaire RIBES : enfin la dépose des premiers vitraux du pédocriminel…Lire  https://www.librepenseerhone.org/10-themes/evenements/173-2024-04-19-affaire-ribes-depose-de-vitraux.html....On peut aussi relire l’activité de la LP69 depuis début 2022 : https://www.librepenseerhone.org/10-themes/evenements/124-2022-05-09-communique-affaire-ribes.html

Vie de la Fédération

Le Groupe de Villeurbanne de la Libre Pensée,

La Fédération du Rhône de la Libre Pensée,

L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité,

invitent à débattre le 24 mai à 19 h, salle des conférences, au Palais du Travail, Place Lazare-Goujon, à Villeurbanne : lire https://www.librepenseerhone.org/16-themes/activites-federation-rhone/168-2024-05-24-admd.html

Activités pacifistes

Premières brèves de la journée du 19 avril 2024 de l'Association Laïque des Amis des Monuments Pacifistes du Rhône…Lire  https://www.librepenseerhone.org/13-themes/activites-pacifistes/164-2024-04-19-trente-ans-de-l-association-la%C3%AFque-des-amis-des-monuments-pacifistes-du-rh%C3%B4ne.html

 

Non au SNU ! : Plus que jamais, NON au SNU, NON à l’uniforme à l’école !

Lire https://www.librepenseerhone.org/13-themes/activites-pacifistes/166-2024-03-non-au-snu.html

 

Pour un cessez le feu en Palestine !

La LP69 soutient toutes les manifestations unitaires à l'appel du collectif Palestine69…suivre https://www.librepenseerhone.org/10-themes/evenements/151-2024-01-cessez-le-feu-palestine.html

Tribune libre (les articles publiés n’engagent que leurs autrices et auteurs)

 

Les écoles de l’AN III..lire  https://www.librepenseerhone.org/9-themes/bulletin-an2/169-2024-04-17-tribune-libre-les-ecoles-de-l-an-deux.html

Nos coups de cœur culturels

 

Une pièce de théâtre sur le printemps de PRAGUE et le combat de la jeunesse pour la liberté… lire et réservez !  https://cielettreg.org/index.php/15-production/2024/12-prague-1968

Une présentation de l’auteur Panaït Istrati par notre camarade Christian COUDENE lire https://www.librepenseerhone.org/9-themes/bulletin-an2/171-2024-04-17-istrati.html

 

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Les écoles de l’An III

En ce début prairial de l’An CCXXXII de la République, il n’est pas inutile de rappeler qu’après l’An II …vint l’An III. Evidemment. Année remarquable par l’ampleur des tâches accomplies par la Convention. Parmi ces réalisations : la création des grandes écoles de la République.

Mardi 5 décembre, Gabriel Attal dévoilait son plan pour un « choc des savoirs » visant à « élever le niveau de notre école ». Conséquences du plan ? Nombreuses et désastreuses, mais notons la fermeture de classes préparatoires aux grandes écoles dans plusieurs académies. Dès le 6 décembre, des centaines d’étudiants et de professeurs de CPGE étaient rassemblés devant le ministère pour exiger le maintien des classes préparatoires de plusieurs lycées parisiens.

Un représentant du ministère expliquait : « Quand nous parlons d’exigence des savoirs, d’excellence à l’école, nous pensons évidemment aux classes préparatoires. C’est un modèle dont nous pouvons être fiers, car il porte une idée de l’excellence des savoirs à laquelle nous sommes attachés ».

Traduction en bon français à partir de l’original formulé en novlangue : « La politique d’austérité imposée par le gouvernement à coup de 49 ter programme la suppression de 2 500 postes à la rentrée 2024. Il faut trouver dans quels secteurs cela se verra le moins. En plus, en nous en prenant aux CPGE, coup double : on ouvre une voie royale pour le privé. » On peut aussi se demander si cela n’a rien à voir avec nos grandes écoles.

Les grandes écoles de l’An III pour mémoire :

Polytechnique – Créée le 7 vendémiaire (28 septembre 1794), Polytechnique (ou « X ») recrute les jeunes scientifiques les plus brillants. Le concours d’entrée compte parmi les plus difficiles parmi ceux qui sont proposés à la préparation des CPGE. Elle est l’une des sept grandes écoles militaires françaises. « Jouissant d'un grand prestige dans l'enseignement supérieur en France, l'École polytechnique est souvent associée à la sélectivité, à l'excellence académique, mais aussi à l'élitisme et à la technocratie qui sont sources de critiques depuis sa création. » (citation Wikipedia) Elle a le statut d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Insistons : établissement public.

Normale sup – Créée le 9 brumaire (30octobre 1794), c’est l’établissement de la rue d’Ulm. Depuis le début du XXème siècle, quatorze anciens pensionnaires ont décroché le Nobel, et onze une médaille Fields. Les élèves passent leurs diplômes à l’université, trouvant conseil et assistance auprès des enseignants, ainsi que des moyens d’étude exceptionnels dans cet établissement qui a la particularité de ne pas délivrer de diplôme.

Arts et métiers – Créée le 19 vendémiaire (10 octobre 1794), le Conservatoire national des arts et métiers était à l’origine un dépôt de machines où étaient organisés des cours du soir, de niveau élevé, où de simples ouvriers, même non-bacheliers, pouvaient se perfectionner. Depuis 1922, ils peuvent accéder au diplôme d’ingénieur. La devise du Cnam est Docet omnes ubique qui signifie « il enseigne à tous et partout ».

Langues orientales – Créée le10 germinal (30 mars 1795) Cette école où sont enseignées plus de 81 langues rares non européennes. « Langues O' » est le nom donné depuis des générations à l’École spéciale, puis royale, puis impériale, puis nationale, des langues orientales de Paris. Parmi les anciens élèves, on compte de nombreux enseignants-chercheurs, linguistes et diplomates.

Conclusion : S’il y eut un moment dans notre histoire où on aurait pu parler d’un véritable « choc des savoirs », c’est bien sous la Convention, mais pas sous la présidence de M. Macron et encore moins sous le ministère Attal. Il suffit de comparer !